à gilles f. jobin
acrobate
elle longea le rameau d’olivier
qui réunissait leurs regards
mille ans de supplices prenaient soudain fin
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à gilles f. jobin
acrobate
elle longea le rameau d’olivier
qui réunissait leurs regards
mille ans de supplices prenaient soudain fin
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Il avait écrit : Je charge les nuages de garnir leurs gouttes de pluie de bisous tendres et amicaux ; je pense que vu la météo de ces dernières semaines, tu seras inondée de becs trempés d'affection...
Elle avait répondu : Merci tout plein ; le temps de me sécher les cheveux et je te renvoie un concentré de nuages identiques.
L’amitié rend merveilleuses toutes les faveurs de la vie… ainsi que toutes ses défaveurs…
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tu prends le petit chemin de terre qui serpente entre les troncs
cela bruisse partout des esprits de la forêt
tu avances lentement en humant les odeurs sylvestres
et le vent fait dansotter la lumière qui coule des frondaisons
tes pas te mènent jusqu’à la clairière
elle s’ouvre à toi comme les bras de quelque Dieu aimant
tu avances tranquillement dans la foule des graminées qui t’accueillent
des nuages de pollen s’épanouissent à chacune de tes enjambées
tu t’approches lentement du chêne séculaire
l’énergie qui le possède te redonnera la force de continuer à vieillir
09.06.2014 - Jeux d'écriture De la boussole au calendrier 2
Le feu de la douleur a chauffé mon cœur à blanc
j’ai attisé le feu
du souffle brûlant de mes hurlements de bête
avec le poids de ma conscience
j’ai frappé le cœur
l’ai martelé, déformé
forgé
puis je l’ai poli
avec la pâte de mon âme
Aujourd’hui, apaisé, le voilà calice
où recueillir la vie
09.04.2013
Sabrina court. Elle longe les chemins de sa mémoire pour retrouver les pierres qu’elle a, dans sa misère, laissées rouler, laissées choir. Sabrina pleure, dans le silence du soir, l’impossible retour en arrière. Les regrets pourtant la mèneront en enfer, elle le sait, mais que faire ? Elle a brisé le miroir et ne reconnait plus le devant du derrière, le "demain" du "hier". Il y a bien une musique, qui parfois l’oriente, mais qui souvent aussi, lorsqu’elle pénètre le vide de son cœur, résonne, résonne, et l’écho délétère la déboussole, la perd.
Elle irait chercher l’hors dans la rivière de nuages
qui court
dans l’étendue du ciel
Elle irait plonger dans le silence des mondes pélagiques
pour chercher le son des bulles d’air
qui éclatent
et libèrent l’être
de ses rêves inaccessibles
Elle irait chercher, sur les routes
le vent qui
efface les marques empreintes dans la poussière
gonfle les voiles
et pousse la barque vers l’avenir
Elle irait faire tout cela si elle savait
où s’évadent les nuages
où repose la mer
où s’ouvrent les routes
Mais elle a oublié, croit-elle...
Sabrina court, elle ne sait pas bien où, en avant en arrière elle n’a plus de repère mais l’ombre du désert pâlit sous la lumière du sourire que naguère tu lui glissas - repère - entre deux pages ouvertes.
20.11.2013
Elle est avachie sur le siège, celui qui est situé tout près de la sortie, exposée à tout les courants ; ceux de l’air, ceux de la foule.
Elle a l’air ailleurs, perdue dans ce qui semble être un vide total de pensées. Son gros sac serré contre elle, elle fixe le vague devant elle et livre son corps aux cahots du train qui déroule son chemin dans le matin naissant. Se sont les autres passagers, agglutinés autour d’elle dans ce train bondé, qui la maintiennent droite assise, semble-t-il.
Je suis debout, juste devant elle, m’accrochant tant bien que mal pour résister aux assauts de la masse humaine agglutinée dans le wagon. Il est sept heures quarante. Le soleil, timide, a éclot depuis peu et faufile quelques rais orangés entre la léthargie des corps. Il caresse le visage désert de la vieille dame au sac sans réussir à l’éclairer la moindre.
Elle fixe le vide devant elle et son regard me passe à travers. Je suis transparente, invisible, je peux la détailler à mon gré. Un nid de brindilles brunes et grises s’ébouriffe sur une face toute ratatinée. Ce n’est pas un visage, c’est une caricature de grisaille et de lassitude. A-t-elle trop pleuré sec pour que les rides ainsi envahissent toute sa face ? Elle porte un manteau noir, posé tout de guingois sur ses épaules tombantes, comme enfilé à la va-vite. Un train à prendre, certainement... Les pans dégoulinent sur des pantalons d’un noir identique. Un noir éteint. Toute la tenue au diapason de sa neurasthénie. Et sur ses genoux, elle tient, serré contre elle comme un objet précieux, un gros sac beige. A-t-elle emprisonnée sa vie dans ce morceau de cuir ?
08.10.2013
L’horizon entrouvrait ses lèvres et lui livrait l’esquisse d’une plage où il pourrait se reposer. Mais il manquait tant d’air dans ses voiles, tant d’eau dans son océan, tant de couleurs à ses plumes
Il manquait tant de bulles à ses rêves et tandis que l’hydre dansait au rythme de l’affolement de son cœur, il perdait les sens et sombrait au milieu des étoiles
qui se reflétaient sur le miroir de l’eau
Il lui fallait fuir les démons de ses nuits éveillées
et ancrer son histoire dans le terreau de la verticalité
Alors, un vent d’ouest a levé ses mains
de vives et audacieuses paluches
Elles ont agrippé la chaloupe égarée
ont fait ce qu’elles ont pu pour l’échouer sur un petit bout de pierre
craquelée par l’écume
puis elles ont brassé brassé brassé
l’aura compacte et stimulante du goémon qui séchait sur l’écueil
Ici
au bout du monde
sur cette terre brutale
bout de sol échappé des terres soumises
il a senti la vie renaître en lui
Il a entendu encore le vent
lui conter ce refrain
lève la tête petit être, grand devenir
lève la tête
le trésor
est dans tes yeux
Il a levé la tête
mais ce qu’il a vu alors
aujourd’hui, il ne s’en souvient plus
09.07.2013
je ne me souviens plus de la voix de mon père
c’est un lointain cri d’aigle
qui bat de l’aile
derrière l’horizon de mon enfance
le temps est une distance
si longue à gravir
mille pas et autant de prières
ne suffisent à le remonter
alors j’écris, avec des pierres
la voie de mon histoire
sur le grand tableau noir
de mon imaginaire
dans ce grincement dedans, je marche
un pas
puis deux
dans l’aven d’un passé
décomposé
j’entends une rumeur
c’est un lointain cri d’aigle
qui bat de l’aile
derrière l’horizon de mon enfance
est-ce la voix de mon père ?
je ne m’en souviens plus
26.06.2013
En guise de réveil, ce matin, Radio Classique déverse sur mon édredon quelques arpèges dégoulinant de douceur, m’extirpant de mon sommeil avec délicatesse. J’ai décidé de me lever avant l’aurore, pour profiter encore une fois d’une de ces belles matinées que la bise de janvier apprête de façon si fabuleuse, avec une ardente fraîcheur. La nature me convie à une fête singulière et prodigieuse que je ne veux pas manquer. Toute la maisonnée est encore paisiblement endormie. Il n’y a que moi pour me lever à l’aube un dimanche…
Je mets à bouillir un peu d’eau, pour me préparer une tasse de thé avant de partir. Je choisi un sachet aux agrumes. Pour rehausser le goût, je râpe quelques zestes, confisqués à une des oranges empilées dans le plat à fruits et effrite du bout des doigts, dans l’eau qui commence à frémir, un gros morceau de cannelle.
Pendant que l’eau chauffe, je fouille l’âtre avec le tisonnier. Les cendres de la dernière flambée recèlent-elles encore quelque escarbille susceptible de reprendre vie sous la bûche que je leur offre ? Je froisse quelques feuilles d’un journal et glisse ces pelotes de combustible sous du petit bois. Les braises s’agacent, grignotent le papier, qui soudain s’enflamme, d’un coup. La bûche commence par rouspéter, avec timidité tout d’abord, puis, encouragée par quelques bouffées d’air, elle se met à crépiter franchement et les flammes commencent à danser, dans un joyeux ballet d’étincelles. Avant de refermer la porte du foyer, je laisse s’échapper un peu de fumée et j’hume, longuement, en fermant les yeux, l’odeur du bois brûlé qui se mêle à l’exquise fragrance du thé. Le flot capiteux d’humeur d’écorce, de polypores déchus, de terre calcinée et de caresses d’agrumes, me grise de façon savoureuse.
Je me pelotonne dans la masse de coussins disposés sur le fauteuil, en face de l’âtre. Puis je savoure mon thé. Lentement. Dégustant chaque lampée. La chaleur du feu qui s’épanouit m’enlace tendrement et m’ensorcèle d’une torpeur bien agréable. Pour peu, je renoncerais à mon projet de balade et resterais assise là, emballée dans cette douce léthargie. Cependant, dans un sursaut de volonté, je m’extirpe de l’océan de mes rêveries et secoue la tête, comme un animal qui s’ébroue en sortant d’une baignade. Je charge le feu de plusieurs morceaux de chêne. Ainsi richement alimenté, il m’offrira une chaleur accueillante, à mon retour.
Puis je m’emmitoufle dans mon manteau de fourrure. Je chausse mes Moon Boots, enroule une écharpe de laine colorée autour de mon cou et fourre mes mains dans une paire de mitaines tricotées durant l’automne. Me voilà parée pour affronter la froidure du matin ! Je me faufile hors de ma demeure avec, au cœur, l’impatience d’un jeune chiot à qui l’ont promet une promenade dans les bois. C’est parti pour deux bonnes heures de balade !
A présent, je traverse les ruelles encore endormies, sous le regard phosphorescent d’une lune incroyablement ronde et pleine. Des flocons sont tombés toute la journée d’hier, petites plumes en cristal lâchées par le duvet des nuages, virevoltant dans l’air glacé avant de se déposer sur toute chose. Puis, au crépuscule, la bise s’est levée. Elle a chassé le gris du ciel et la voûte céleste s’est mise à étinceler, sur un fond bleu cobalt. Et elle scintille de même, ce matin, pour quelques minutes encore.
Devant moi, le long de la route toute droite, s’égraine un chapelet de lampadaires. De diaphanes chimères de frimas ondulent dans chacune des gemmes de lumière. J’avance lentement en pensant à tous les « Je vous salue Marie » que je n’ai jamais récité. Sauf durant ces Adieux douloureux quand, debout dans un silence déchiré par le cri des mains jointes d’une ou l’autre connaissance défunte, l’échine courbée aux côtés d’autres échines courbées, ceignant le coffre à mort, je prie, pour « la paix de son âme » et l’apaisement de la douleur des proches. L’exception confirme la règle.
Ma respiration esquisse des nuages qui se dispersent dans la froidure du petit-jour. Je m’arrête pour suivre du regard une de ces nimbes de brume s’emparer de l’air et s’élever dans une arabesque mouvante, s’estomper, puis disparaître tout à fait. Puis je reprends la marche.
Un chat encore un peu engourdi par la fraîcheur du matin me rejoint et vient se frotter contre la mousse de mes bottes, lâchant quelques miaulements aigus. Je le gratouille dans le cou et sourit de la posture extatique qu’il prend. Il lâche un ronronnement fabuleux, tout de suite recouvert par le fracas de l’Angelus. Six heures. Le clocher répand sur le village son ordre de prière et de dévotion en l’honneur de l’Incarnation. Une invitation catholique de plus en plus déclinée, à commencer par moi. Quoi que… En un certain sens, j’y prends part, de façon détournée, en me rendant là où je vais…
La route va crescendo. J’entame la douce montée qui mène à la forêt surplombant le village. La bise pique mes oreilles de son bec acéré, picore mon visage, me pince le nez. Je réajuste mon écharpe. Sur le chemin, la neige gelée produit un grincement délicieux, comme seul sait le faire un pas dans la neige gelée du matin. Sous le poids du pied posé avec lenteur, le petit tremblement de la neige écrasée se ressent jusque dans le mollet. Des milliers de petits cristaux gloussent sous le pas câlin. Et le rire du froid s’élève, résonne au creux des deux petites absidioles plaquées de chaque côté de mon crâne et va se lover aux profondeurs de mon âme. J’arpente lentement le chemin, me délectant de ces instants d’incroyable poésie. La nature me chuchote sa beauté du bout du givre. Quel enchantement ! A l’intérieur de mon être mon cœur rit et sautille comme celui d’une enfant et mille souvenirs d’hivers heureux se déversent dans le lit de mes pensées. Batailles de boules et glissades téméraires en « sac », le long des pentes poudreuses. Ah ! Que l’hiver est chaleureux dans le cœur des gamins des montagnes ! Je déguste cette flânerie hivernale comme Proust savoura sa Madeleine.
J’arrive ainsi, l’esprit joyeux, l’âme enfantine, à l’orée de la forêt. Une brume hiémale se glisse entre les arbres engourdis dans leur bogue de givre. Ces volutes de coton léger confèrent à la forêt un petit air de mystère. Je me glisse, coquine, sous les jupes des sapins, humant les odeurs sylvestres dilatées par la froidure de la saison morte. L’épaisse fourrure des conifères a retenu la neige et le sol n’est recouvert que d’une guipure fine et légère. Sous mes pieds, la végétation hirsute du layon et les feuilles décrochées par l’automne et toute givrées par le frimas, croustillent généreusement. Je marche à pas lents dans ce silence troublé. Je déguste chaque accord. Du crépitement des brindilles se fripant sous ma contemplative foulée. De la résonance, dans l’éther de l’hiver, du frais froissement des feuilles mortes et gelées. Du craquement sec de petites branches jonchant le chemin. Eclats de rires, éclats d’ouïr. Romance spirituelle.
Je traverse ainsi le bois, dans un esprit d’humilité et de reconnaissance, pour me rendre au premier contour du petit ruisseau qui s’écoule entre la rocaille. Ce n’est plus vraiment un ruisseau, plutôt un filet d’eau que la température hivernale a rendu tout timide et qui épand encore quelques perles, dans un lit devenu trop grand. Je longe un moment le ru en prenant garde de ne pas glisser sur les cailloux humides. J’aurais fière allure si j’allais me tordre une cheville à une heure pareille, dans cet endroit désert ! J’arrive enfin à cet emplacement où la rivière débouche d’un grand virage. Je suis arrivée. Je m’assois sur une souche. L’humidité de la mousse glacée marquera mon manteau, mais cela n’a aucune espèce d’importance. Je sais que c’est là, à cet endroit précis, qu’Elle viendra. Cette Fée en robe de pyracantha, qui sait tant ensorceler mes sens et enchanter mon présent. Elle viendra, comme chaque matin clair, depuis le début de janvier.
Encore quelques minutes et son mystère « densera » devant mes yeux, empreignant mon âme d’un souvenir ébloui, me gorgeant, pour les instants creux, de sa Force et de sa Lumière. Comme pour annoncer cet instant de magnificence, une mésange à tête noire entame son gazouillement. Cette ritournelle, ponctuée par les quelques notes monotones et nasillardes d’une sittelle, ajoute du bonheur au bonheur. Délicatement, voluptueusement, la nature se voile d’une aura singulière. Tout est prêt pour l’Instant.
Alors apparaît la féerie… Que la fête commence !
Je distingue, entre les feuillages, l’arceau de l’astre du jour qui se lève, colorant l’horizon d’une nitescence rouge vermillon. Les branches des foyards et des sapins, cristallisées par le gel, s’enflamment. Un murmure imperceptible s’élève sous le souffle léger qui les cajole. L’astre d’Or, doucement, se réveille et je regarde ainsi avec émerveillement, la Terre enfanter d’un jour nouveau.
Quelques rais filtrent doucement entre les branches et donnent le ton. Puis, c’est l’éclatement. Les premiers cris de soleil percent le ciel orangé de l’aurore. L’étoile du jour jette entre les branches des flammèches rougeoyantes, qui transforment en étincelle chaque joyau de cristal accroché aux branches des arbres. L’eau gelée joue ainsi avec le feu – complices, l’instant d’un ballet magique.
L’azur se découvre de son voile de ténèbres et le bleu céruléen qui teinte les nues me donne envie d’y plonger toute entière. Nager dans l’éclat fluorescent d’une atmosphère pélagique. Je m’imagine, suspendue entre ciel et terre, danser avec un séraphin sur le concerto numéro 4 en fa mineur de l’opus 8 d’Antonio Vivaldi : « l’hiver » de la valse des quatre saisons. Dansée avec la légèreté d’un éléphant ; essayez donc de valser avec des Moon Boots !
Je ris toute seule de mes pensées friponnes. Le bonheur me fait perdre la raison et c’est bien agréable…
J’intime à mon esprit l’ordre de rejoindre à nouveau le Bal des Miracles. Sur la piste de danse, les filaments de cirrus qui parsèment le ciel se fardent en rose-thé. On dirait des chevelures d’anges, têtes penchées sur la terre pour y chanter quelque cantique joyeux sur la renaissance du Monde.
Tout autour, la forêt se réveille. On entend, çà et là, des rongeurs qui gratouillent au milieu des brindilles, en quête d’une nourriture devenue rare, à cause de la saison. Les oiseaux, maintenant déchaînés, entament, pour le jour naissant, l’hymne de la Vie.
Quelques minutes encore et le soleil aura ouvert tout grand ses bras ; il jettera sur le monde ses flèches d’orpiment de façon tout à fait généreuse. Feu d’artifice final, ou feu d’Art, tout court.
Quelles noces d’Or ! Pour un peu, j’applaudirais !
Je reste là une éternité, puis me décide finalement à retourner à mon logis, le cœur et l’esprit en fête, émerveillée par une cérémonie qui résonnera en moi, au moins pour quelque temps...
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