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4 juin 2013 2 04 /06 /juin /2013 18:46
 

La terrasse se remplit et se vide tout en même temps, c’est la chorégraphie des vacances estivales. Devant nous, le soleil joue avec la mer. Il vient chatouiller de petites escarbilles la peau turquoise et la mer tout entière frémit et fait danser les petites fées sur ses éclats de rire. Un vent de mer atténue la chaleur et ébouriffe les Phoenix qui battent des feuilles en bruissant d’aise. Sur notre table, deux  verres de Ouzo, où flotte un paquet de glaçons, parachèvent le cliché de cette scène crétoise.        

 

Elle, elle est installée à quelques mètres de nous. Elle a dix ans, peut-être douze. Elle semble gênée tant elle est assise d’une façon qui nous semble inconfortable, penchée vers l’avant, les genoux serrés. Ses mains s’amusent l’une avec l’autre d’une manière un peu brutale, par sursaut. Soudain, sa main gauche s’égare dans ses cheveux blonds coupés courts, les ébouriffe convulsivement - cela ne prend pas plus d’une seconde, comme un cri silencieux - puis retourne jouer avec sa compagne qu’elle avait abandonnée sur le plâtre de ses cuisses. Commence alors une cadence douce, les doigts s’entremêlent, les mains se taquinent, comme pour se ré-apprivoiser. De toutes petites oscillations animent le haut de son corps. Est-ce l’écho des battements de son cœur qui se donnent en spectacle ?

 

Elle regarde le vide devant elle, les yeux fixes, hypnotisée par quelque point invisible.  Elle porte un chemisier  à carreaux et un short en lin rose pâle qui laisse découvrir des bras et des jambes fins, blancs comme l’albâtre. Parfois, ses lèvres remuent un peu mais ne délivrent aucun son. Elle fixe le vide et si quelqu’un à la bienveillance audacieuse osait en cet instant l’observer, il verrait dans ses yeux verts tout un monde, intangible, bouleversé, bouleversant, un monde aussi vaste et mystérieux qu’un arrière pays d’esprit humain.

 

Un contemplatif  à l’oreille habituée aux musiques de la vie entendrait s’élever autour de cette scène une mélodie en si mineur, remplie de solitude et de mélancolie. Un concerto pour violoncelle par exemple, pourquoi pas l’Adagio ma non troppo du concerto n° 2 de Dvořák ?

 

Les fauvettes et les hirondelles se bagarrent l’azur de vifs ballets d’ailes. Un bébé pleure quelque part. Une nuée de scooters passe en bourdonnant devant le petit restaurant et se dirige vers la plage. De l’essaim des touristes estivaux s’élève un babillage multicolore qui compose un étrange patchwork auditif.

 

Elle regarde le vide devant elle, assise de façon maladroite sur la chaise en bois vernis. Tu viens t’assoir tout près d’elle, sur la chaise vide, à sa droite. Tu lui souris. Elle ne te voit pas nous semble-t-il, ses mains jouent toujours ensembles, ses lèvres ne prononcent plus de mots silencieux, son corps inlassablement vibre et ses prunelles d’émeraude scellent toujours l’inaccessible. Peut-être frémit-elle tout de même un peu, à l’intérieur ? On ne sait pas, on ne sent rien. Tu poses doucement ta main sur l’accoudoir de ta chaise. Sur l’accoudoir gauche, celui qui est de son côté. Et tu attends. Et soudain - cela ne fait aucun bruit et c’est pourtant aussi retentissant qu’une symphonie - sans décrocher son regard du néant sa main droite s’évade en direction de la tienne, vient la palper, à tâtons, comme on cherche un interrupteur dans la nuit. Tu lui souris toujours et dans ton regard on peut voir et s’émouvoir d’une cargaison de tendresse.

 

 

Rien n’a bougé autour, ou plutôt tout a continué de bouger. Le soleil joue toujours avec la mer, les touristes s’agitent sans relâche, les fauvettes et les hirondelles se chamaillent encore le ciel et le vide remplit toujours le regard immobile de la petite fille en rose pâle, mais une sorte de grâce éclot soudain des graines du temps ; vous êtes belles d’une beauté sans mot pour la décrire. 

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commentaires

A
<br /> Tes vacances crétoises semblent t’avoir inspirée. Le soleil…<br /> <br /> <br /> Ces mots sont bien jolis. Cette petite fille paraît venir d’un autre monde. Le tien ? Elle rêve. Elle veut dire quelque chose.<br /> Que cache le vide de ses yeux émeraude qui ont trouvé une main ? Je cherche…<br />
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E
<br /> <br /> Bonsoir Alain,<br /> <br /> <br /> Oui, le soleil... <br /> <br /> <br /> Cette petite fille semblait non pas venir, mais vivre dans un autre monde... Une jeune fille handicapée, sur une terrasse, et sa... maman ? qui m'ont toutes<br /> les deux beaucoup touchée. Une scène de Vie et d'Amour silencieuse, sur fond de soleil. Que cachait le vide dans ses yeux ?... Je chercher aussi...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Est-ce que je me suis reconnue dans le geste émouvant de cette petite fille voguant dans les abysses de son monde, tâtonnant cette<br /> main comme pour se rassurer d’une présence... ou... comme pour rassurer la présence... ? Oui, peut-être, un peu...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bonne fin de semaine<br /> <br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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